Yannik Reuter : "J'ai failli arrêter l'an dernier"
Top 200 pour la première fois, il gagné près de 150 places en un an.
Finaliste du tournoi Challenger de Brest il y a une semaine, Yannik Reuter est entré pour la première fois dans le Top 200 mondial (195e), gagnant près de 50 points en huit jours, et 147 depuis le début d'une année entamée au 342e rang mondial grâce notamment à deux autres demi-finales en Challenger (Marburg et Scheveningen). Tous ceux qui se sont frottés à l'entraînement au citoyen de Saint-Vith, même les meilleurs Belges, disent qu'il vaut plus que son classement. Et s'il vivait enfin ce mystérieux déclic, un peu tardif et d'abord mental, dont tout le monde parle sans trop savoir en quoi il consiste ? C'est en tout cas l'occasion de découvrir et de poser quelques questions à un joueur dont on parle (trop) peu... et qui n'aime pas (trop) parler de lui.
Q. Yannik, à Brest, vous avez commencé par battre Jérémy Chardy en demi-finale, une première face à un joueur d'un tel calibre ?
R. Ce n'est pas la première fois que je gagne contre un Top 100, si c'est la question. J'ai battu l'Autrichien Haider Maurer à l'Ethias en 2012, et cet été l'Espagnol Ingo Cervantes à Scheveningen sur deux tie-breaks. Chardy est évidemment un nom plus connu, on peut dire qu'il a déjà été dans une meilleure passe (75e mondial ndlr), mais je vous assure qu'il a très bien joué lors de ses trois premiers matches. J'ai pris le meilleur sur d'autres joueurs qui ont été Top 100, mais pas quand ils l'étaient.
Q. Et une finale en Challenger, vous en aviez déjà jouée une ?
R. Oui, il y a trois ans au Maroc. Si vous voulez absolument une première, disons que battre un Top 100 pour arriver en finale d'un tournoi de ce niveau ne m'était jamais arrivé (sourire).
Q. Cette finale, on a bien cru que vous pouviez la remporter aussi, contre Norbert Gombos, le Slovaque - lucky loser en raison du forfait de Quentin Halys -, qui a vécu une semaine extraordinaire, en difficulté dans tous ses matches et s'en sortant à chaque fois, y compris contre Benneteau en demi-finale... mais également contre vous puisque vous avez mené 5-3 service à suivre dans le premier set (perdu 7-5). Vous avez alors abandonné trois fois votre engagement d'affilée, les deux premiers sur jeu blanc... c'est rarissime. Le stress, l'émotion en sentant l'exploit à portée de raquette ?
R. Mon coach vous dira que le service n'est pas mon point fort, mais je ne me rappelle quand même pas que cela me soit déjà arrivé dans ma carrière. J'ai aussi mené 0-40 dans le deuxième jeu du second set (perdu 6-2 ndlr). Il a un peu mieux retourné, j'ai un peu moins bien servi, qu'est-ce que je peux dire d'autre... à part que je ne me sentais pas très bien, à cause d'un virus, j'avais déjà eu mal au ventre durant la semaine, mais jamais quand je jouais. Sauf là. Du coup, je bougeais beaucoup moins bien.
Q. Vous avez déjà 25 ans, qu'est-ce qui vous a manqué jusqu'ici ?
R. Trop de hauts et de bas, de moitiés de saisons où je gagnais peu de matches, de beaux résultats suivis d'autres pas terribles. J'ai déjà été ATP 250 il y a trois ou quatre ans. J'ai sans doute disputé trop de Future/10.000 dollars, j'aurais dû me lancer dans les Challengers plus tôt. A Heilbronn et à Marburg, je vais en quart et en demi en sortant des qualifications. Je remarque que quand je rencontre de bons joueurs je peux les battre, alors que lorsque je joue des mauvais j'ai tendance à me mettre à leur niveau.
Q. De l'extérieur, on se demande toujours comment on arrive à vivre d'une carrière comme celle-là ?
R. J'ai une copine, mais je loge chez mes parents, qui m'ont aidé quand il le fallait, je ne jette pas l'argent par les fenètres, je voyage à 80 % tout seul, même si ce n'est pas l'idéal pour progresser, je n'abuse pas des tournois lointains, je joue des interclubs en Allemagne ou en France, et il n'y a que deux ans que je suis livré ainsi à moi-même, avant j'étais dans le cadre de la fédé, qui m'accorde encore une petite bourse aujourd'hui, et je bénéficiais d'un contrat Rosetta. C'est dur. Dans la conjoncture économique difficile, personne ne sponsorise un gars comme moi.
Q. Vous n'avez jamais été tenté d'arrêter ?
R. Si. L'an dernier, en été, ça n'allait pas trop, j'avais réalisé un mauvais début de saison. J'ai pensé faire autre chose, et continuer à jouer au tennis au niveau belge. Mais j'ai finalement choisi de prendre un coach, Christophe Delheille, de commencer à travailler avec lui à Liège et à Huy. Une saison, à ma manière, coûte dans les environs de 30.000 euros, et avec ce que j'ai gagné en 2016 j'y arrive financièrement. Je ne sais pas encore si je finirai effectivement l'année dans le Top 200, il me reste deux tournois, un 10.000 cette semaine à Leimen en Allemagne avant un Challenger relevé en France, à Mouilleron le Captif, et j'ai une trentaine de points à défendre, je vais devoir bien jouer. Mais l'objectif à moyen terme reste d'arriver un jour Top 100, en commençant par Top 150 l'an prochain.
Christophe Delheille : "Je l'ai retrouvé très bas"
Figure tennistique liégeoise, attachée au club de Barchon et responsable d'un cercle de fitness dans la localité, Christophe Delheille, qui fut aussi moniteur au centre de formation fédéral durant sept ans, a connu Yannik Reuter très jeune. "Chez les 12/14 ans, il n'était peut-être pas le plus talentueux de tous, mais il m'impressionnait par sa force mentale", explique-t-il. "Quand je l'ai retrouvé l'an dernier, au contraire, son niveau de confiance était descendu très bas, aussi bas que son classement, 450e mondial en avril/mai 2015. A présent, je pense qu'il se sent bien, en confiance justement, il a désormais un bon préparateur physique, on le pousse à élargir son encadrement, mais on comprend aussi ce qu'il doit gérer financièrement, c'est un garçon sain, discret, économe, il ne pourrait se payer un entraîneur 20 à 25 semaines sur le circuit, même si c'est ce qu'il faudrait... et si, dans le contexte professionnel actuel, je ne pourrais pas non plus l'accompagner aussi longtemps."
Aux premières loges, comment évalue-t-il le potentiel du joueur germanophone ? "Il faut qu'il serve mieux, et de manière plus constante, c'est un fait, et la saison prochaine ne sera pas facile, il devra faire mieux pour progresser au classement, remporter le genre de match ou de finale qu'il a perdu il y a huit jours. Mais il a déjà un certain niveau, et quand je le vois jouer comme lors de cette semaine à Brest je ne vois pas pourquoi il ne pourrait pas être Top 100. En même temps, il n'est pas en avance, et, s'il veut pouvoir en profiter un peu, il ne doit plus trop traîner en chemin, même si on vit de plus en plus vieux sur le circuit. Pour bien faire, il faudrait qu'il y arrive dans les deux ans."
Retour à la liste