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Raphaël Collignon et Romain Faucon, nos deux Top 50 juniors : "Ce n'est pas une année perdue, mais manquer les Grands Chelems c'est dur"

Au ranking mondial, chez les juniors pas moins de six Belges figurent dans le Top 125. Pas mal pour un petit pays, même si ce genre de statistique ne garantit rien pour la suite. La pandémie a cueilli les deux mieux classés, le Liégeois Raphaël Collignon (25e) et le Montois Romain Faucon (44e), en plein élan, alors qu'ils avaient gagné une septantaine de places depuis le début de l'année et s'étaient ouvert les portes des Grands Chelems dans la catégorie : "Une expérience dont tout joueur rêve, c'est dur de ne pas les jouer", confirment-ils.

Un pur produit fédéral et un électron libre

Raphaël est issu de la filière liégeoise qui a vu éclore avant lui les Darcis, Cagnina, Goffin, Bovy ou Onclin, c'est un pur produit fédéral. Romain, qui s'entraîne au Club Justine Henin depuis septembre, se présente au contraire en électron libre. Repéré pourtant très tôt par la fédération, il est, avec Arnaud Bovy, le premier garçon francophone, en trente ans, à atteindre un tel niveau chez les jeunes sans appartenir au Centre de formation AFT. Entre 1 m 92 et 1 m 88, ils affichent tous les deux un profil longiligne comme on n'en a guère connu jusqu'ici parmi l'élite du sud du pays, avec une qualité de service qui est un de leurs atouts principaux si par ailleurs les différences ne manquent pas dans leur jeu. Ils ont également en commun un début d'année - leur dernière chez les juniors - relativement tonitruant qui leur a permis de gravir un maximum d'échelons en un minimum de temps. 

Romain gagne le "face à face"

Lorsque Raphaël Collignon a opté pour une tournée en Inde plutôt qu'en Amérique du sud en janvier, c'était dans l'objectif avoué de "faire des points" là-bas lors de tournois grade 2 ou 3 et d'obtenir un classement avantageux pour pouvoir se mesurer au top de la catégorie dans de bonnes conditions lors des grands rendez-vous plus tard dans la saison, notamment les Grands Chelems. Grâce à deux victoires en trois tournois, il a rempli sa mission, avec en plus une finale lors d'un grade 2 lituanien perdue face à... Romain Faucon (2-6, 6-7) et un quart de finale à Kazan dans un grade 1. De 98e au 1e janvier, il s'est retrouvé 25e en mars. De son côté, Romain Faucon, parti 120e début 2020, a été encouragé par un quart de finale d'entrée lors d'un grade 1 à Prague, puis il a remporté deux grades 2, chaque fois contre des Belges, Maikel De Boes et donc Raphaël Collignon lors de leur seul "face à face". Du coup, on le retrouve 44e. 

"Un an perdu ? Cela m'énerve d'entendre ça"

Tous deux ont donc été arrêtés en plein vol alors qu'ils étaient bien lancés, qu'il y avait beaucoup d'enjeu pour eux et qu'ils attendaient de pouvoir mieux situer, cette année, leur vrai niveau dans le concert international avant d'entrer sur le circuit adulte en 2021. Un an perdu ? "Cela m'énerve d'entendre ça", dit Steve Darcis qui chapeaute le pro team AFT dont fait partie Raphaël, "bien sûr être privé de Grands Chelems représente une énorme déception, c'est l'objectif de tout joueur de tennis, ils avaient mérité d'être récompensés et comme révélateur rien ne remplace la haute compétition, mais cette période permet aussi de continuer à évoluer, à progresser, en travaillant ou corrigeant des détails techniques comme on n'aurait pu le faire si les tournois s'étaient succédés, il faut prendre le bon côté des choses et profiter du temps qu'on nous offre."

Raphaël est né dans le tennis

Raphaël Collignon s'entraîne donc presque tous les jours, le plus souvent au Centre provincial de Huy, avec Steve Darcis et le quatuor Bovy/Onclin/Herman/Geens enre autres, ce qui semble, soit dit entre parenthèses, avoir fait le plus grand bien au gars Clément, l'aîné de la bande que l'on a cru un moment perdu pour le circuit international, "je ne l'ai jamais vu jouer comme ça", sourit l'ex-monsieur Coupe Davis. Lorsqu'on lui demande ce qu'il pense de Raphaël, Steve résume : "Mentalement il est très bien, il ne lâche rien, dans le jeu son coup droit surtout doit faire plus mal, il a tendance à le retenir, il sait qu'il doit être plus agressif, aller plus vers le filet, et pas seulement à l'entraînement, mais dans l'ensemble il évolue bien." Le garçon est né dans le tennis. La maison familiale jouxte les installations de Fayembois, son père Frédéric est né dans une famille de sept enfants qui ont tous joué dans le club du président André Stein... dont l'épouse, France, a donné cours à Raphaël à l'école primaire. Une maman psychologue, un papa neuro-chirurgien spécialisé dans les problèmes de la tête et du dos, cela peut aider, et pas seulement quand il s'agit de le conduire à l'entraînement. "Même si j'ai bien compris qu'il fallait que je me dépêche de bosser le permis de conduire, théorique et pratique, parce que c'est lourd pour eux", sourit-il. Il termine également ses humanités cette année, à l'athénée Bervoets de Mons, dans d'étranges conditions. "Avec Louis (Herman), on n'a pas pu rentrer à l'école, le Centre de formation - logement, restauration - étant fermé, on sera normalement délibéré en conseil de classe, je ne suis pas trop inquiet, j'ai eu de beaux résultats pendant l'année." 

"L'ITF doit faire quelque chose"

Raphaël craint en revanche d'être doublement victime du blocage tennistique actuel au niveau international. "Mon rêve c'était Wimbledon, je n'ai jamais joué sur gazon. Quant aux autres Grands Chelems, ils sont déjà assez compromis, je serais étonné qu'ils s'embarrassent de nous", regrette-t-il. "Pire que ça, la fédération internationale (ITF) favorise en principe les meilleurs juniors en leur garantissant des places dans les tournois Future 15.000 dollars jusqu'à leurs 19 ans. Or, je les aurai... le 13 janvier. Donc, non seulement je ne pourrais pas jouer cette année, mais je serais en plus pénalisé la saison prochaine. Il faut vraiment que l'ITF fasse quelque chose pour les jeunes dans mon cas, pourquoi d'ailleurs ne pas avoir accordé cet avantage aux meilleurs juniors sur un laps de temps égal pour tous lors de leur première saison adulte, six ou neuf mois par exemple, au lieu de s'en tenir à cette date anniversaire, ce serait plus juste." Romain Faucon, que Raphaël a côtoyé jusqu'à 11/12 ans avant de le perdre de vue, n'a pas ce souci, il aura 19 ans le 4 septembre 2021. "Et bien sûr il n'y est pour rien", sourit le Liégeois. "Je me souviens que, tout petits, on était les deux plus forts de notre âge, mais je ne sais trop ce qu'il est devenu par la suite, je crois qu'il s'est entraîné un peu partout jusqu'à se retrouver chez Justine Henin.

"Servir à 220, frapper fort"

Si Steve Darcis entend stimuler l'agressivité chez Raphaël Collignon, l'inciter globalement à plus se lâcher, l'objectif de Pablo Abarca, qui s'occupe de Romain Faucon au Club Justine Henin, serait plutôt inverse. "Là où Raphaël est plus "cérébral", plus dans la construction du point, Romain est quelqu'un qui fait la différence très vite, qui aime bien agresser la balle, parfois trop, avec des capacités physiques très importantes, c'est donc plutôt l'autre côté qu'il faut essayer de développer chez lui", dit Pablo. "Je trouve que c'est quelqu'un d'assez complet et consistant, avec de l'avenir dans le tennis belge." "C'est vrai que je ne cherche pas la complication", sourit Romain, "servir à 220, jouer vite, frapper fort, c'est un peu mon crédo." Sa motivation, le gars de Flénu la puise en partie dans le sentiment "d'avoir été oublié" après avoir renoncé à intégrer le Centre de formation fédéral. "J'ai toujours été un des meilleurs Belges, j'habitais à deux minutes de la Sapinette, aujourd'hui ce serait peut-être différent mais à l'époque cela ne me convenait pas." Par la suite, il a pas mal bourlingué, de Jacques Leriche à Thierry Meeus, en passant par David Leveaux, Kristof Vliegen, et même une semaine d'entraînement en Asie chez Carlos Rodriguez. "Un moment, je ne pouvais m'entraîner qu'une heure par jour après l'école et faire une fois du physique par semaine, mais c'était quand même du travail sérieux. Quand je suis arrivé chez Justine, qui cherchait des "sparrings" et m'a repéré, elle m'a dit que mon passé c'était un brouillon mais qu'il avait été bien fait."

"Mes parents ont vendu une maison"

Un tel parcours en structures privées, sans subsides ni sponsors, coûte forcément pas mal d'argent, surtout que le gaillard casse à peu près un cordage toutes les heures. "Mon seul soutien vient de Babolat, et de mes parents. Mon tennis leur coûte 40 à 50.000 euros par an. Mon père est kiné, ma mère pédicure médicale, ils roulent dans de plus petites voitures et ont vendu une maison pour que je puisse continuer. Comprenez dès lors que je ne ménage pas mes efforts, petit Belge un peu perdu auquel on a mis quelques bâtons dans les roues mais qui trace sa route. Justine m'aide aussi, à sa manière elle me sponsorise, je l'en remercie." "Bien sûr, on ne pourra pas faire ça éternellement, d'autant qu'on a aussi une fille qui fait de l'équitation", souligne la maman. Romain est aussi un peu seul à Limelette quand d'autres s'entraînent en groupe des deux côtés de la frontière linguistique. "On a pris des contacts et les compétitions vont recommencer au niveau belge, voire à l''étranger là où on aura accès", dit Pablo Abarca. "Tant qu'on sera officiellement à l'arrêt à l'international, les tournois nationaux de l'été risquent fort d'accueillir du beau monde, il y a beaucoup de très bons jeunes Belges à peu près du même âge."
 

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