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La réussite d'Ysaline Bonaventure est celle de toute une équipe

Dans la nuit de ce lundi à mardi, la Stavelotaine Ysaline Bonaventure, 92e mondiale, disputera son premier tour de l'Open d'Australie face à la Russe Ekaterina Alexandrova, 19e tête de série. Elle ne sera pas favorite, mais elle a bien commencé l'année et n'aura rien à perdre. 

Six Top 100 depuis octobre

"Avec Ysa, on ne doit surtout pas s'arrêter au constat actuel, il faut voir plus loin, on n'a pas encore été chercher son plein potentiel", avertit d'emblée le préparateur physique de l'AFT, Alexandre Blairvacq, une pointure dans son domaine. Après avoir déjà mené 6-3, 5-4 face à Bianca Andreescu à Roland Garros, Ysaline Bonaventure n'en a pas moins battu six Top 100 depuis début octobre, dont quatre depuis début janvier, y compris l'ancienne finaliste surprise de l'US Open, Leilah Fernandez, qu'elle a dominée. Bien qu'elle ait eu à défendre son plus grand nombre de points de l'année lors de la première semaine 2023, elle est parvenue à se maintenir parmi les 100 meilleures mondiales, cap qu'elle venait tout juste de franchir pour la première fois, à 28 ans. Forte d'une première demi-finale WTA à Auckland en sortant des qualifications, elle a même un peu amélioré sa position. Elle aborde ainsi le tableau final de l'Open d'Australie, dont elle a passé le premier tour l'an dernier, avec six victoires en huit matches, ce qui ne peut que conforter son moral avant d'affronter une Top 20, gros morceau, certes, mais pas forcément hors d'atteinte pour elle. Certes, on n'oublie pas qu'elle a aussi été éliminée à Auckland et à Hobart par des filles en principe à sa portée, Rebeka Masarova, un peu sa bête noire avec un jeu qu'elle a du mal à déborder, et Lauren Davis, face à laquelle elle a manqué de fraîcheur mais qui a ensuite gagné le tournoi. Depuis, elle a eu le temps de souffler, et jouer une 20e mondiale comme la Russe est le genre d'expédition qu'elle aime et qui la motive. 

Leur plus belle victoire

La réussite qui semble enfin sourire depuis six mois, c'est aussi celle d'un encadrement inspiré par l'AFT qui semble équilibrer la joueuse liégeoise. Personne n'a jamais douté de son potentiel, mais c'est quelqu'un qui n'est pas facile à gérer, elle en a découragé plus d'un, elle la première à la limite. Et, finalement, c'est peut-être là leur plus belle victoire à tous, Ysa, Hugo (Guerriero, entraîneur), Steve (Darcis; superviseur), Alex (Blairvacq, préparateur physique), Caroline (Michelin, coach mentale), ces mois sans blessures, cette exigence dans le niveau de performance, cette stabilité dans le travail physique et tennistique. Nous en avons profité pour faire mieux connaissance avec Hugo Guerriero, le coach français (originaire de Vesoul, diplômé à Aix-en-Provence) de la Stavelotaine, qui la suit sur le circuit 30 semaines par an et connaît désormais Mons ou la région liégeoise comme sa poche.

"On est deux à avoir du caractère"

Q. Ysaline a expérimenté pas mal d'entraîneurs depuis qu'elle a quitté l'académie de Noëlle Van Lottum, en Hollande comme en Belgique, la collaboration a rarement été couronnée de succès, pour des raisons diverses. Vous êtes un jeune coach à peine entré dans la trentaine, en février cela fera un an que vous travaillez avec elle et la suivez sur le circuit, qu'est-ce qui fait que cela dure ?

R. Avec Ysaline, on s'est rencontrés lors d'un tournoi à Monastir, elle était encore avec son précédent coach Paul Monteban, mais cela n'allait pas fort. Je m'occupais d'un jeune joueur, sans être full time, j'avais un peu de temps libre. J'ai également aidé un moment Simon Beaupain, j'ai donc noué des liens du côté de Liège. Quand elle m'a demandé de la suivre sur le circuit, c'était dans un cadre fédéral plus large, avec Steve Darcis et Alexandre Blairvacq. C'est cet environnement-là qui a fait la différence, l'expérience et la gentillesse de Steve, qui a toujours cru en elle, le fait que l'on soit tous raccord, la qualité et les partenaires qu'elle trouve à la fédé, l'évidence aussi qu'elle n'avait plus vraiment le choix, un peu comme une ultime chance. Soit elle poursuivait comme avant, et elle coulait, soit elle acceptait de travailler comme elle ne l'avait jamais fait. Elle a du caractère, mais on est deux. C'est même pour ça qu'elle est venue me chercher, pour avoir quelqu'un avec elle qui puisse aussi lui dire ses quatre vérités. Je le lui rappelle quand je sens qu'il pourrait y avoir de la friture sur la ligne, et encore une fois je ne suis pas seul, j'apprends moi aussi, on en discute parfois durant des heures avec Steve, Alex et même Thierry (Van Cleemput) qui m'a dit un jour : "On a le mauvais rôle, on passe pour le méchant auprès de sa joueuse ou de son joueur, c'est parfois conflictuel parce qu'on pense que c'est dans son intérêt, c'est notre job."

"Je ne veux plus entendre parler de gâchis"

Q. Qu'est-ce qui vous a marqué quand vous l'avez découverte ?

R. Qu'elle a une sacrée qualité de frappe, et que l'on disait d'elle qu'elle stagnait. On parlait de gâchis à son propos... c'est ce que je ne veux plus entendre. Elle a été bien éduquée tennistiquement, elle sait tout faire. Je me suis renseigné sur ce qui avait bien fonctionné avant, j'ai essayé de la comprendre. Je sais que l'on a souvent insisté sur son facteur poids, elle a beaucoup travaillé sur ses capacités physiques et elle peut encore les développer, mais il faut arrêter de focaliser là-dessus. Sa morphologie fait qu'elle a un peu moins de marge que d'autres, et il ne faudrait pas non plus qu'elle perde de la puissance, qui fait sa force, ce qui compte c'est de trouver un équilibre, qu'elle bouge et récupère bien, qu'elle tienne les matches. Elle n'a pas toujours senti qu'elle en était capable, mais on voit bien que c'est le cas, sur des matches longs, dans la chaleur. Il ne sert à rien de la forcer. Par exemple, sa fin de saison, avec l'entrée dans le Top 100, il lui a quand même fallu un peu de temps pour la digérer, il y a eu un contrecoup. Quand on s'est revu pour la préparation, j'avais prévu certaines charges de travail, avec beaucoup de volume, mais elle rechignait à passer autant de temps sur le court, le danger si on la forçait c'était qu'elle craque, on a donc accepté de réduire la voilure mais à condition de mettre l'accent sur la qualité et l'intensité. En définitive elle est quand même arrivée en Australie bien préparée, dans un bel état de fraîcheur. Elle bosse dur, vous savez, sinon elle ne serait pas là où elle est.

"Structurer son tennis"

Q. On a parfois eu l'impression que le physique était tellement prioritaire chez elle que faire progresser son tennis passait au deuxième plan. Qu'avez-vous spécialement travaillé ces dernières semaines ?

R. On s'est beaucoup occupé de son service, d'installer quelques routines qui l'aident à gagner des points, ainsi que de son coup droit pour qu'il soit plus stable. Elle dit toujours qu'elle joue d'instinct, mais le haut niveau ce n'est pas jeter la pièce en l'air et espérer qu'elle tombe du bon côté. Il faut que son tennis soit plus structuré, tout en gardant son coté explosif. On s'est également aperçu de l'importance du mental dans le processus, le fait qu'elle lâche face à la contrariété, quand c'est un peu difficile, les moments où elle perd pied qui lui font perdre des matches. On lui a fait comprendre que si elle ne travaillait pas ce côté-là, cela n'irait pas, et on l'a mise en relation avec une psychologue française qui habite en Espagne. Elle a vu ses matches à Roland Garros, et elles sont désormais en contact quasi quotidiennement. Là aussi elle use de quelques routines pour se sentir plus calme. Ysa est comme elle est, elle a grandi comme ça, je n'ai jamais voulu la changer, ce n'est pas facile tous les jours, mais on va dans la bonne direction. Maintenant elle gagne beaucoup de matches dans lesquels elle est mal embarquée.

"Se rapprocher du Top 50"

Q. Vous vous êtes fixés un objectif pour la saison ?

R. Depuis la fin de l'été, je ne lui parle pas de Top 100, mais de se rapprocher du Top 50. A part qu'elle est qualifiée d'office pour les Grands Chelems, ce qui lui permet de jouer financièrement l'esprit plus tranquille, elle n'est pas différente parce qu'elle est dans les 100, sinon qu'il n'y a pas beaucoup d'écart entre être 95 et 80 et que c'est la guerre entre 120 et 100. Elle n'avait rien à défendre sur la fin 2022, et il y a moyen d'encore capitaliser d'ici Roland Garros. Après son match contre Andreescu Porte d'Auteuil, je lui avais dit que ce qui lui avait manqué lorsqu'elle menait un set zéro 5-4 ,c'est de disputer plus de matches contre des joueuses de ce niveau, ce qui est le cas désormais. Elle va plus se concentrer sur les tournois WTA, où il faut remporter moins de matches pour gagner le même nombre de points, cela peut lui convenir. Ici, avec Alexandrova, elle affronte une bonne joueuse, agressive, qui frappe, on a bien étudié le cas, mais ce qui m'importe d'abord c'est son attitude. J'ai tendance à lui fixer des objectifs qui dépendent d'elle plutôt que de lui encombrer la tête avec son adversaire. 
 

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