Germain Gigounon préface l'US Open à New York : "Au début c'est bizarre, après on s'y fait, comme à tout"
Il n'y a jamais eu un US open comme celui qui commence ce lundi à 11 h du matin heure de New York (17 h belge), et il n'y en aura sans doute plus. L'immense majorité des joueurs et entraîneurs sont rigoureusement cloîtrés durant trois semaines dans un même hôtel Marriott à Long Island, parmi eux Germain Gigounon, coach d'Ysaline Bonaventure et pote de David Goffin. Il nous en parle.
Un huis clos intégral et une vie sous bulle rigide pour les acteurs (joueurs et accompagnateurs) confinés en vase clos entre l’hôtel et le stade, avec interdiction absolue d’en sortir sous peine de disqualification... comme décor, on a déjà connu plus funky. Son et lumière attendront des jours que l’on espère meilleurs. Pour l'heure, l'essentiel est de rejouer et de regagner de l'argent, ou de ne pas en perdre trop pour la fédération américaine. Même s’il impose le silence pendant l’échange, le tennis vit aussi par les réactions des spectateurs, et c'est la première fois qu'un tournoi majeur se disputera sans public. Si elle oblige tout le monde à vivre en cercle fermé durant plusieurs semaines, l'audace de réunir le tournoi de Cincinnati et l'US Open sur le même site aura été une initiative bénéfique, permettant de prendre ses marques dans un contexte inédit. Tout a changé, y compris la surface qui n'en avait nul besoin, le masque est obligatoire à peu près partout, l'accès au vestiaire du stade est interdit aux staffs et limité à trente joueurs (contre trois cents à l’accoutumée) qui ne doivent pas y passer plus de quinze minutes. Même chose au restaurant, où la capacité d’accueil a été divisée par six. Les loges de l'imposant Central Arthur Ashe, habituellement prisées des businessmen new-yorkais et des stars, ont été transformées en vestiaires privilégiés pour les 64 têtes de série du tournoi, on a d'ailleurs vu Dominic Thiem tester la précision de sa frappe à distance en expédiant une balle dans la loge de Schwartzman à l'autre bout du stade. On tue le temps comme on peut.
Les absents ont donc eu tort ? Alors que tout s'était déroulé sans accroc jusque là, on n'a quand même pas été plus étonné que ça d'apprendre qu'un premier cas positif avait été détecté dimanche chez les joueurs, au nom de l'impossible Benoît Paire, faisant donc fi des implacables restrictions qui seules pouvaient faire valider pareille organisation - et permettre à la fédé américaine de conserver ses rentrées télévisées - dans un pays ravagé par l'épidémie. Six filles du Top 10 et 23 du Top 100 n'avaient d'ailleurs pas embarqué dans le vaisseau new-yorkais, c'est énorme. Forcément, avec Osaka gênée à la cuisse gauche depuis sa demi-finale contre Mertens et Serena qui a de plus en plus de mal à masquer l'usure logique des ans, c'est plus que jamais la bouteille à encre dans le tableau féminin. Chez les messieurs, où les absences de Nadal, Federer et Monfils ne passent évidemment pas inaperçue, tout le monde sait que Djokovic est là pour ramener à deux longueurs l'écart avec le record de Grands Chelems gagnés de Roger (20)... que Rafa entend, lui, rejoindre dans un peu plus d'un mois sur "sa" terre battue de Roland Garros qu'il a préféré privilégier. C'est écrit comme ça. "Mais il y aura beaucoup de surprises", prévient Andy Murray qui a par ailleurs trouvé "astronomique", et refusé pour sa part, le montant demandé pour louer une villa particulière avec jardin, concession (très surveillée) de l'organisation pour essayer d'enrayer la vague de forfaits. Huit joueurs et joueuses (à commencer par Serena) ont franchi le (coûteux) pas, dont Djokovic et Raonic les finalistes de Cincinnati, et Azarenka la lauréate chez les dames, se peut-il qu'il y ait relation de cause à effet ? Le décor est planté, on parle des Belges avec Germain.
"J'espère qu'Ysa va vraiment croire qu'elle peut le faire"
Q. Germain, c'est une expérience unique que vous vivez à New York... luxueusement ballotés et parqués entre un hôtel et les installations de Flushing Meadows.
R. C'était plus bizarre au début, mais après deux semaines cela devient un peu chaque fois la même journée, le même huis clos, la même routine qui s'installe, et on s'y fait, comme à tout. On va au stade pour s'entraîner, on nous prend le matin, on nous ramène le soir, entre 45 minutes et une heure de bus par trajet en fonction des embouteillages. On a fait du physique en début de semaine, on a mis au point un plan pour pouvoir travailler, mais pas pour qu'elle soit complètement "cuite" mardi, le jour où elle commence l'US. Pour Ysaline il y avait tout de même dix jours à meubler judicieusement entre les qualifs de Cincinnati et le début du Grand Chelem.
Q. Que pensez-vous de son tirage ? Comme pour tous les Belges le moins que l'on puisse dire est qu'il aurait pu être meilleur...
R. Pas facile, en effet. Une Chinoise tête de série, Shuai Zhang, qui est 36e mondiale, a pas mal d'expérience (31 ans) et a déjà fait deux fois quart de finale en Grand Chelem. Maintenant, cela reste un match de tennis, il faut qu'elle joue sa chance à fond, elle n'a rien à perdre, cela aurait pu être mieux, cela aurait pu être pire aussi, elle est capable, elle a déjà battu des filles de ce classement-là. Dans les qualifs de Cincinnati, elle s'est imposée à la 74e mondiale (la Japonaise Nao Hibino, ndlr), une fille qui joue vraiment bien, solide, pas facile à manoeuvrer, elle a fait un super match. Le lendemain, elle gagne aussi le premier set, malheureusement elle craque un peu au troisième, mais question niveau de jeu ce n'était pas mal du tout, elle a joué deux matches corrects, il y avait la place pour peut-être déjà aller dans le tableau final face à une joueuse (l'Américaine Catherine Bellis, ndlr) qui a été 35e mondiale à 18 ans - avant de devoir subir plusieurs opérations, l'an dernier - et qui était au 3e tour de l'Open d'Australie cette année (éliminée en trois sets par... Elise Mertens, ndlr). Mardi, j'espère donc vraiment qu'Ysa va croire en ses chances. Avec le classement qu'elle a (WTA 121), elle devrait être dans les qualifs, cette année il n'y en a pas, et elle a le bonheur de pouvoir faire tableau final (51.440 euros garantis, ndlr) grâce aux circonstances, je ne pense pas qu'on puisse se plaindre de quoi que ce soit, même si avec un "cut" à 145 vu toutes les défections - Yanina Wickmayer est la dernière entrante - il pouvait certainement y avoir des premiers tours plus abordables.
"Dur pour tout le monde, mais aucun match n'est injouable"
Q. Puisqu'on parle de Yanina, son cas est symbolique de la situation spéciale que nous vivons. Plus jamais une 145e mondiale n'entrera dans le tableau final de l'US Open. Qui plus est en se trouvant toujours à Prague le mercredi soir précédent pour y disputer un autre tournoi, sur terre battue. Repêchée en soirée après une ultime défection, elle devait être à New York le jeudi pour se faire tester et attendre le résultat, elle a trouvé un avion et s'est levée dans la capitale tchèque à 3 h du matin pour honorer son rendez-vous US en tenant compte du décalage horaire. Elle a ainsi été testée trois fois en trois jours, mais on la comprend, que ne ferait-on pas pour un minimum de 51.000 euros en prize money quand on est classée comme elle aujourd'hui ?
R. Je l'ai croisée vendredi dans l'hôtel, donc c'est qu'elle était négative au covid sans quoi elle n'y aurait pas eu accès. Evidemment, comme pour Ysaline et d'autres Belges, son tirage n'est pas évident. La plupart jouent des têtes de série, et Yanina se retrouve carrément face à Sofia Kenin, l'Américaine qui a gagné l'Australian Open en début d'année. Pour Kim (Clijsters), Alexandrova, 27e mondiale, ce ne sera pas facile non plus, il faudra surtout voir exactement où elle en est avec son souci abdominal, elle s'entraîne mais même si on la voit bien frapper la balle c'est principalement au service que cela pose problème, difficile de savoir au juste. Greet Minnen hérite de la 18e mondiale, Vondrousova, et Alison (Van Uytvanck), tête de série, se prend Giorgi, une petite avec beaucoup d'énergie capable de battre de bonnes joueuses. Pour Kirsten (Flipkens) on va dire que, tant qu'à se retrouver devant une tête de série, il y avait pire à affronter que la Suédoise Peterson qu'Elise Mertens a dominé la semaine dernière. Ce sera dur pour tout le monde, en même temps aucun match n'est injouable. Et je dois dire que ça se passe plutôt bien entre elles, on les retrouve souvent le soir autour de jeux de société.
"Pour Elise, un jour ça peut passer"
Q. Justement, parlons-en d'Elise. A la déception d'avoir été battue en demi-finale du tournoi de Cincinnati alors qu'elle a eu 21 balles de break (3 converties), et d'avoir été si près de remporter le deuxième set perdu au tie-break, s'ajoute celle d'avoir vu Naomi Osaka ne pas disputer la finale le lendemain, arguant d'une blessure à la cuisse gauche occasionnée... lors du tie-break contre notre compatriote. Azarenka a gagné le tournoi sans jouer, comme Mertens aurait pu aller en finale sans devoir combattre si la Japonaise avait confirmé son premier forfait. Encore une fois c'est très spécial.
R. C'est également rarissime que les meilleurs jouent un grand tournoi la semaine avant un Grand Chelem. En plus, tout a été décalé d'un jour parce qu'il n'y a pas eu de matches jeudi, et on rejoue déjà lundi ou mardi, difficile de prévoir l'effet que cela peut avoir sur l'un ou l'autre. Djokovic ne vise qu'une chose, l'US Open, était-il à bloc, pas dans son assiette ? De toute façon, il a gagné comme d'habitude. Pour en venir à Elise, elle a perdu contre une top joueuse. Quand elle est dans son match, Osaka, ça va vite, ça frappe fort, ça sert bien et ça trouve des angles à plat, c'est super dur. Elise a beaucoup joué ces trois dernières semaines de Prague à New York, mais elle adore ça, c'est son choix, c'est quelqu'un qui aime bien être dans le rythme, avoir beaucoup de matches dans les jambes, je pense que physiquement elle est prête et est assez solide à ce niveau-là. David (Goffin) a ça aussi. Quand on regarde les beaux moments de sa carrière c'est lorsqu'il a enchaîné beaucoup de semaines, c'est quelqu'un qui a parfois un peu plus dur après un break ou une pause. Leur tennis ce n'est pas qu'un service et de grands coups gagnants, il y a beaucoup de frappes, de déplacements, de timing. Je n'ai pas analysé le tableau d'Elise (elle commence contre l'Allemande Laura Siegemund, 67e mondiale, ndlr) mais je remarque que dans des tournois importants comme ça elle est souvent au rendez-vous tant que ce n'est pas vraiment quelqu'un du top en face, elle passe, elle est assez constante. La semaine dernière, dans tous les matches où elle était favorite, et qui n'étaient pas si faciles contre des filles qui avaient battu de très bonnes joueuses précédemment, elle a mis des scores très sévères, elle est là, elle fait le boulot. Si elle ne perd que contre des adversaires comme Halep ou Osaka, ça veut dire que c'est déjà solide, qu'elle est juste derrière, et qu'il ne faut pas que les filles se ratent en face parce qu'elle sera là pour prendre sa chance, ça progresse, un jour ça peut passer. Déjà, selon moi, quelqu'un comme Azarenka est moins solide qu'Osaka, si Elise avait pu la jouer en finale elle aurait aussi bien pu s'envoyer Cincinnati, elle n'est pas loin. L'an dernier, à l'US Open, elle a perdu en quart et en trois sets contre Andreescu qui a gagné le tournoi.
"Pour David, un de ceux qu'il valait mieux éviter en tant que tête de série"
Q. La cohabitation durant des semaines dans cet hôtel de Long Island ne vous rappelle-t-elle pas les années du Centre de formation AFT à Mons avec David Goffin ? Vous devez "tuer" un peu de temps ensemble, non ? On vous a vu dans la tribune au côté de son coach Thomas Johansson contre l'Allemand Struff, le fait que David n'ait pas saisi ses occasions ne vous a pas déçu ?
R. Je n'ai pas tout vu, je suis arrivé au milieu du premier set et j'ai dû repartir au milieu du troisième, il y a eu de bons passages et d'autres plus compliqués, c'est dommage parce qu'il avait le break au début du troisième, il avait pris le match en mains après avoir bien terminé la deuxième manche, mais dans le jeu d'après il a fait une ou deux doubles, et ça a relancé un peu le match. Ceci dit, ils ont changé la surface, elle est plus rapide que d'habitude, face à des gars comme ça qui restent sur de bons résultats - Struff avait battu De Minaur et Shapovalov -, tentent énormément, sont agressifs et servent vraiment bien, il a peut-être moins le temps de mettre son jeu en place, de travailler l'adversaire, c'est pour ça que c'était bien pour tout le monde de jouer Cincinnati ici pour s'habituer aux conditions. Et comme entre hôtel/club et club/hôtel il n'y a pas grand-chose à faire, je passe effectivement un peu de temps avec lui, c'est mon pote, et c'est sympa, on a même tapé une fois la balle ensemble sur le site. Je m'entends bien aussi avec Thomas, on est en contact régulier même quand je suis en Belgique et lui à Monaco, j'aime bien discuter avec lui.
Q. David a hérité de l'Américain Opelka pour débuter l'US Open ce lundi, tout sauf un cadeau !
R. En étant tête de série, c'est sûr que jouer Opelka sur une surface très rapide, aux Etats-Unis, un géant de plus de 2 m 10 et de plus de 100 kilos, qui sert à bloc, ce n'est pas ce dont rêve, surtout qu'après le tableau est peut-être plus ouvert jusqu'à Djokovic. L'Américain vient de battre Schwartzman et Berrettini lors de ce Masters 1000 de Cincinnati, mais il s'est retiré en quart contre Tsitsipas alors qu'il menait 6-5, avec un problème au genou droit, et je ne connais pas la gravité de sa blessure. Reste que, s'il est bien, il figure à mon avis dans le Top 5 de ceux qu'il valait mieux éviter en tant que tête de série. En même temps, comme je le disais, rien n'est injouable pour les Belges, David l'a d'ailleurs déjà joué et à chaque fois c'était très serré - il l'a battu en cinq sets à l'Australian Open 2017, et a perdu en trois à Bâle l'an dernier, 6-7, 7-6, 7-5.
- Pour rappel, l'an dernier Goffin a été éliminé en 1/8e de finale par Roger Federer.
- Les Belges à l'US Open ce lundi:
Court 17, Opelka - Goffin, 5e match à partir de 17 h, donc dans la nuit belge.
Court 7, 17 h, Vondrousova - Minnen
Court 7, Peterson - Flipkens, 5e mach à partir de 17 h
Court 14, Van Uytvanck - Giorgi, 5e match à partir de 17 h.
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