En exclusivité, l'interview du coach de Goffin
Thierry Van Cleemput : "David revient très près de son meilleur niveau"
Entre Barcelone et Madrid, Thierry Van Cleemput est repassé par la Belgique pour savourer quelques moments précieux en famille. L'occasion pour nous de revenir avec lui sur le début de saison de David Goffin chahuté par le malencontreux problème à l'oeil de Rotterdam. "On a été bloqués par une blessure, on doit tenter de rattraper le temps perdu, mais on a aussi essayé que ce soit un mal pour un bien, et David est sur le chemin du retour à son meilleur niveau, il en est tout près", dit-il. Explications.
On se souvient que la traditionnelle préparation hivernale de David Goffin n'en a eu que le nom, réduite à sa plus simple expression. Il n'a même pas pu disputer de tournoi officiel ATP avant Melbourne où il n'a pas été en mesure de jouer le tennis qu'il fallait. "On n'avait pas le choix", expliquait alors son coach. "Rappelez-moi le nom de celui qui a disputé la finale de la Coupe Davis et a entamé la saison suivante sur les chapeaux de roues ? Je vous souhaite bonne chance !" Peut-être le Liégeois s'est-il mis également un peu trop de pression après les éloges mérités qui ont salué sa fin de saison 2017, Masters plus Coupe Davis, et qui, aux yeux de certains, en faisaient un vainqueur potentiel de Grand Chelem, donc de l'Australian Open. David était déjà occupé à remonter la pente, de Montpellier à Rotterdam, quand, en Hollande face à Dimitrov, il s'est occasionné un hématome sur la cornée en s'envoyant la balle dans l'oeil lors d'une volée. Un invraisemblable coup de malchance quelque peu sous-estimé dans les heures qui ont suivi. On a pu le constater à Miami où, après avoir fait une croix sur Indian Wells, notre compatriote s'aligna avec le feu vert à 100 % de son ophtalmologue mais sans y être réellement prêt. On a d'ailleurs constaté au retour que sa vision en relief demeurait déficiente, et il a même testé deux fois des lentilles qui ne lui ont pas convenu. Aujourd'hui, tout est rentré dans l'ordre. Quart de finale à Monte Carlo, demi à Barcelone. Prochains rendez-vous, les Masters 1000 de Madrid la semaine prochaine, de Rome la semaine suivante, et il n'ajoutera sans doute pas Genève à son agenda avant Roland Garros comme cela a été un moment évoqué. "Compte tenu de ce qui s'est passé, je suis très content de son niveau de performance après deux mois d'arrêt", résume Thierry Van Cleemput. Entretien.
"Volume physique"
Q. Thierry, on peut presque avoir l'impression que David est sorti de cette délicate période plus fort physiquement, et qu'il s'est même un peu élargi au niveau des épaules. On se trompe ?
R. Comme on ne pouvait rien y faire, on a au moins essayé de transformer un problème en force, et, avec notre préparateur Fabien Bertrand, on en a profité pour s'atteler à ce que David n'avait pas eu suffisamment le temps de faire en hiver. Il a effectivement pris du volume dans le haut du corps, c'est à la fois le résultat du travail de Fabien et le fait de sa maturité physique à 27 ans. Il a travaillé très dur la puissance, et devra encore beaucoup bosser pour que cela paie plus tard. Mon boulot n'est pas seulement de le rendre performant aujourd'hui ou pour Roland Garros, mais pour les six années à venir. En revanche, à l'heure actuelle, il n'affiche pas encore la résistance ou l'endurance qu'il est capable d'avoir quand il a enchaîné beaucoup de matches en compétition, et il n'est pas non plus à l'abri d'un petit coup de mou parce que c'est lourd ce qu'il a fait.
"Performer partout"
Q. Le train reparti sur les rails, quel est désormais l'objectif ?
R. David est un joueur au top, mais il n'est pas assez fort pour faire comme Nadal, Federer, voire Del Potro, et cibler l'un ou l'autre grand événement particulier. Ce qui ne signifie pas qu'il ne gagnera jamais un Grand Chelem, et c'est peu dire que je le lui souhaite, mais pour l'instant ce serait circonstanciel, un beau tableau, des favoris qui coincent... A 27 ans, 28 en fin d'année, on doit penser autrement, rechercher l'efficacité maximale, on a été bloqués par une blessure, on doit rattraper le temps perdu, ne pas se fixer d'attente particulière mais être prêt à performer partout, dans tous les rendez-vous importants de la saison, sur terre battue, sur herbe, sur dur en Amérique, en Asie, jusqu'à Bercy et qui sait un nouveau Masters...
"Difficile à battre sur terre battue"
Q. A part Nadal, qui est plus fort que lui sur terre battue ?
R. Le temps d'un match, beaucoup de joueurs peuvent le battre. Un Cuevas est intrinsèquement un peu moins fort, mais s'il joue super et si David n'est pas dans sa forme optimale l'Uruguayen peut gagner. "Dave" est tête de série, mais s'il se retrouve au premier tour de Roland Garros face à un Jérémy Chardy qui joue le feu par exemple, personne ne sait comment ça va se passer. Il a perdu à Monte Carlo contre Dimitrov qui n'est pas un spécialiste de terre battue, et je ne lui en veux pas, la mauvaise surprise c'est que le Bulgare a atteint un niveau exceptionnel, il a été magnifique, bien sûr parce que le tennis de David lui convient aussi. Un tennis qui s'exprime sur toutes les surfaces, je dirais juste que s'il est bien physiquement et dans son jeu David est difficile à battre sur terre battue. Là, il est sur le chemin du retour, en voie de retrouver son meilleur niveau, à quelques petits rodages près.
"Nadal c'est l'enfer de le jouer"
Q. Avec un tel Nadal, peut-on dire qu'à la Porte d'Auteuil on aura plus que jamais un "one man" Roland Garros ?
R. Si tout se passe bien pour lui, il est grandissime favori, j'enfonce une porte ouverte, mais dans un Grand Chelem, et d'ici un mois, on ne sait jamais ce qui peut arriver. Pour l'instant, il est meilleur qu'il ne l'a jamais été, intouchable sur terre battue, monstrueux, c'est l'enfer de le jouer. A Barcelone, David a livré un formidable premier set, jusqu'à 4-5, il est allé le chercher, l'a agressé, même bousculé, mais Nadal a continué comme si de rien était, et malheureusement maintenir cette intensité-là physiquement, mentalement, tactiquement c'était beaucoup trop d'efforts en l'état actuel des choses pour David, c'est comme un marathon dans lequel on donne tout sur les 22 premiers kilomètres. Qu'est-ce qui fait que l'Espagnol est si fort ? C'est sa surface, il est celui qui peut lifter le plus au monde, qui met le plus de poids et de longueur dans la balle, physiquement David et lui ne boxeraient pas dans la même catégorie, et surtout il a un mental à toute épreuve, il ne lâche rien et court de nouveau dans tous les coins du terrain.
"Les 800 points du Masters"
Q. En remontant sur le court Suzanne Lenglen, où il s'est martyrisé la cheville dans les bâches l'an dernier, David aura-t-il une appréhension ?
R. Et pourquoi en aurait-il une ? C'est juste la poisse noire ce qu'il a vécu. Un skieur qui se fait mal ne fait plus de ski ? Il y avait des bâches aussi à Monte Carlo, et sur des terrains plus petits. On ne peut pas penser à ça, sinon il ne monterait plus à la volée de peur de s'envoyer la balle dans l'oeil.
Q. Après tous ses mécomptes, David est toujours dixième mondial. Et l'été peut faire son affaire au classement mondial puisque l'an dernier il a dû zapper la saison sur herbe et n'a pas été très performant lors de la tournée américaine.
R. Vous savez que je ne raisonne pas de la sorte. Il y a là certainement une opportunité de prendre des points, je ne le nie pas, mais il peut aussi y avoir tant d'impondérables. Ma mission du moment est de le rendre le plus performant possible à Madrid, Rome, Roland Garros, et je ne veux pas décevoir les fans qui comptent les places au ranking, mais si David n'est pas au Masters en fin d'année il perdra les 800 points qu'il y a gagné l'an dernier, on n'y pense pas mais cela ferait une énorme différence. Il faut bien se rendre compte que s'il est arrivé 7e mondial c'est sur une ou deux semaines, et pour l'entraîneur que je suis l'essentiel n'est pas là mais dans la valeur de son joueur sur l'ensemble de son parcours. Il a trouvé sa place sur le circuit entre la 10e et la 15e place mondiale, et on travaille pour qu'il soit dans le Top 10, c'est-à-dire pour qu'il y reste.
"Tant qu'il m'écoute"
Q. En quoi trouvez-vous qu'il se soit amélioré tennistiquement sur un an ?
R. Je vais vous renvoyer la ou les question(s). Il lui fallait un coup droit plus offensif, l'est-il devenu ? C'était difficile à la volée, il ratait presque automatiquement, s'est-il amélioré, notamment sur les volées amorties qui font le point ? Son service et sa deuxième balle devaient être plus performants et réguliers, le sont-ils ? Son revers naturel a toujours été là, mais il avait du mal avec son revers slicé de protection, il y a du mieux ? Si vous répondez oui à tout, vous savez à quoi vous en tenir. Ce qui ne veut évidemment pas dire qu'il n'y a plus rien à faire, également sur le plan physique ou d'une certaine régularité au niveau mental, en même temps on ne le changera pas, et ce qui me rend toujours triste c'est cette impression que personne ne prend vraiment la mesure de l'athlète qu'est David Goffin, de son niveau, de sa constance dans la performance, tout le temps seul sur le terrain et tout le temps là.
"Tennis Etudes"
Q. La question à 10 euros, vous ferez encore ça longtemps ? (sourire)
R. Là, vous me trouvez particulièrement motivé, parce qu'il m'a écouté, parce qu'il m'écoute. Je continue tant que je sens qu'il en est ainsi, et donc que je sais ce que je dois faire. Ce qui compte c'est lui. Si je ne lui apporte plus rien, je le sentirai même si lui n'en a pas conscience. Je ne resterai pas pour l'argent ou par facilité, par routine, et même si je sais que tout le monde ne me croit pas il y a de très grandes chances que je revienne ensuite m'occuper des jeunes, au Tennis Etudes, que je ne considère pas comme une usine à champions mais comme une formation de vie, de jeunes hommes, de jeunes femmes, où l'on développe son talent avec les meilleurs, en sachant que certain(e)s émergeront peut-être sur le circuit et d'autres pas. C'est le genre de projet qui m'a toujours intéressé.
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