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David Goffin à Roland Garros : "Des conditions de jeu radicalement différentes, mais ça peut le faire"

Le tennis pro continue de vivre des temps chahutés - ou faut-il dire qu'il tente de survivre dans un contexte sanitaire où, du jour au lendemain, tout est susceptible de changer ? - et s'apprête à disputer son deuxième Grand Chelem en équilibre instable et en mode confiné. Qui plus est dans l'humide grisaille d'automne, ce qui change pour le moins la donne sur une terre battue comme celle de Roland Garros.

De 20.000 à 1.000 spectateurs

En osant le coup de force en plein confinement pour reporter son tournoi de Roland Garros à la fin du mois de septembre, le président de la fédération française de tennis Bernard Giudicelli a joué... et on ne peut pas dire qu'il ait perdu, car le Grand Chelem de la Porte d'Auteuil aura bien lieu, mais il n'a pas gagné. Lui qui a longtemps laissé entendre que le tournoi pourrait accueillir la moitié du public habituel a vu, au fil des jours déchantants de septembre, son indestructible enthousiasme, façon méthode Coué, douché par une épidémie à nouveau galopante. Avec une jauge de spectateurs passée rapidement de 20.000 début juillet à 11.500 début septembre, puis de 11.500 à 5.000 et qui est finalement de 1 000 personnes par jour - hors accrédités - la soupe à la grimace a succédé au fol espoir de pouvoir inaugurer le toit du Central Philippe Chatrier devant un maximum de spectateurs. "Si l’évolution sanitaire est favorable, des billets supplémentaires seront mis en vente en septembre", avait promis M. Giudicelli, mais à l'inverse les organisateurs ont dû, en dernière instance, procéder à un tirage au sort parmi les détenteurs de tickets (on parle de 145.000 au total) pour désigner les... 750 bienheureux qui pourront pénétrer quotidiennement dans le stade, les 250 places restantes étant destinées aux invités des partenaires du tournoi et aux élus ou personnalités. Les déçus seront remboursés et prioritaires pour 2021. 

Coup de froid sur la Porte d'Auteuil

L'an dernier, on avait enregistré 520.000 spectateurs sur la quinzaine, il n'y en aura que 15.000 cette année. La billetterie comptant pour 18% des revenus de Roland Garros, qui représente lui-même 80% du budget annuel de la fédération française (même si cette dernière dispose de réserves de trésorerie), on comprend que la direction du tournoi ait vivement regretté "les nouvelles contraintes, ce sont des dizaines de millions qui sont partis en fumée." "On était capable d’accueillir 5 000 personnes sur une surface équivalant à huit terrains de foot", a répété en vain Guy Forget. Au moins, il y aura un tournoi, quelques spectateurs comme à Rome empêchant de faire vide comme à l'US Open, et plein de téléspectateurs. Evidemment, puisqu'on parle de "coup de froid", on savait que, malgré l'été chaud et lumineux que l'on a connu, Paris, en début d'automne, pouvait être gris, frais et humide, ce que les prévisions confirment malheureusement. Le soleil, quand on arrive à le voir, se couche aussi bien plus tôt que début juin, c'est pourquoi nombre de courts ont été pourvus de projecteurs pour que tous les matches ne soient plus interrompus par l'obscurité. Quant aux joueurs, même désorientés par tout ce qui se passe, ils ont au moins quelque chose à jouer, et à gagner (60.000 euros pour celui qui est éliminé au premier tour), enfermés dans une prison dorée (deux hôtels) encore plus stricte qu'à New York où il y avait un peu plus d'air et de distractions. David Goffin nous en parle, et de pas mal d'autres choses dans les lignes qui suivent.

"Pour me battre il faudra jouer un match énorme"

On ne peut pas dire que le tirage au sort de jeudi ait été accueilli avec un large sourire par notre compatriote. Hériter d'entrée d'un jeune aux dents longues comme l'Italien Jannik Sinner (19 ans) certes 74e mondial mais qui a battu le Liégeois 7-6, 7-5 en début d'année sur dur au tournoi de Rotterdam et a éliminé Tsitsipas la semaine dernière à Rome. "Un très mauvais tirage c'est sûr", dit-il en gardant le sourire, "il est très, très fort, il met des tôles à tout le monde à l'entraînement, on a souvent joué ensemble à Monaco, mais il est jeune, en match ce n'est pas encore tout-à-fait ça. Je ne l'ai jamais rencontré sur terre battue, et les conditions différentes dans lesquelles on va évoluer pourraient, qui sait, m'avantager un peu plus. Il va faire froid, la terre est plus lourde, plus lente, les balles plus humides, on a presque l'impression qu'on ne peut pas rater, il y aura beaucoup d'échanges, ce sera très physique, et on joue en cinq sets, je pense pouvoir tenir très longtemps avec une belle intensité, parce que pour la première fois de l'année j'ai l'impression d'être vraiment prêt dans tous les aspects de mon jeu. Sur dur, il a de grosses frappes assez plates, prend la balle tôt, avec un super timing, mais j'ai aussi l'expérience pour moi, j'ai déjà joué beaucoup ici, ce n'est pas son cas, c'est seulement son 5e Grand Chelem. Comme on s'est pas mal entraîné ensemble. J'ai suivi son match contre Khachanov à l'US Open pour voir ce qu'il allait faire, il a mené haut la main deux sets zéro, mais ensuite il a commencé à cramper (il a fini par perdre au tie-break du cinquième, ndlr), cela fait également partie de la formation d'un champion. Attention, il sait jouer partout, sur toutes les surfaces, dans toutes les conditions, mais j'ai l'impression que, quoiqu'il arrive, il faudra jouer un match énorme pour me battre. S'il le fait tant mieux... pour lui." 

"Le jour et la nuit avec Rome"

Au retour de New York, on ne peut pourtant pas dire que David ait rassuré son monde lors du tournoi de Rome où il a été dominé d'entrée par Marin Cilic sans avoir voix au chapitre. "D'habitude, je fais une bonne préparation à la terre battue, et je me sens de suite bien, dès le premier tournoi", dit-il. "J'ai peut-être été naïf de croire que, cette année, compte tenu des circonstances, cela pourrait quand même aller sans préparation, et ça n'a pas été du tout, j'avais un peu l'impression de courir sur des oeufs, je n'étais pas à l'aise pour glisser, mon corps n'était pas prêt, la base n'était pas bonne. J'avais deux possibilités, ou continuer au tournoi d'Hambourg pour jouer des matches, - mais j'en avais déjà dans les jambes - ou m'astreindre à une grosse préparation sur terre, la plus dure possible, avec Fabien (Bertrand, son préparateur physique), je pense avoir fait le meilleur choix, ce gros travail a boosté mon jeu." Fabien qui n'est pas à Paris, un regret ? "Bien sûr, j'aurais aimé avoir aussi un kiné pour m'aider à mieux récupérer, mais avec les restrictions il faut faire des choix, pour être au mieux physiquement et mentalement, et pour le reste faire confiance à ceux qui sont sur place, ils connaissent leur boulot, je suis ici avec Thomas (Johansson, son coach) et Stéphanie (sa "moitié", leur fête de mariage le week-end dernier ayant dû être annulée en raison de la situation sanitaire dans le sud de la France, ndlr)."

"Le plus important ? Rester négatif "

"On se sent un peu enfermés", continue David lorsqu'on lui demande son ressenti dans son hôtel parisien, "on ne peut même pas prendre l'air, se promener, on commande dans la chambre, parce que la hantise est de se retrouver dans la situation d'Ysaline (Bonaventure) et de Germain (Gigounon) à New York, ou de Dzumhur ici (avec son coach ils font un procès au tournoi, ndlr), avec un test positif ou même un faux positif. C'est plus facile à vivre quand le tournoi a commencé, qu'on est plus souvent sur le site." Dans l'ensemble, en cette année invraisemblable, c'est entretenir la motivation qui lui a paru l'enjeu le plus délicat. "Normalement, on a des points de repère tout au long de la saison, on s'y prépare, cette année on ne sait pas où l'on va, on ajoute, on retire, on empile les tournois, les surfaces, on n'a pas de points à défendre, il faut éviter tous les pièges, heureusement qu'il y a eu ces deux Grands Chelems pour servir d'objectifs. Après Roland Garros, j'ai parfois l'impression qu'on vivra déjà à l'heure de 2021, malgré Vienne et Bercy, en tant que Belge j'ai heureusement encore Anvers..."

"Nadal oui... mais"

Pour conclure, bien sûr, comme tout le monde il voit Rafael Nadal favori... ou bien... "Depuis que j'ai tapé la balle le soir sur le Suzanne Lenglen, c'est plus dur à dire", sourit-il. "J'ai quand même l'impression que ça va le changer des 30 degrés, des balles qui remontent très haut, et qui giclent sur la terre avec l'espace qu'il y a sur le Chatrier. Là, les balles sont humides, elles ne rebondissent pas beaucoup, on a déjà vu qu'il a eu plus de mal à Rome avec Schwartzman, même s'il n'a pas bien joué ce jour-là. On doit malgré tout le mettre top favori, avec Djokovic (même s'il aime mieux la chaleur également) et Thiem comme outsiders, rien d'original." Comment a-t-il justement vécu la consécration à l'US Open de Dominic Thiem, un de ses bons copains avec lequel il a été longtemps en concurrence ? "J'ai été content pour lui. Il le mérite au vu des dernières saisons, c'était quand même sa 4e finale en Grand Chelem. Le fait qu'il ait remporté son premier titre majeur sur dur, lui que l'on voyait surtout sur terre battue, montre qu'il progresse, qu'il a passé un cap. Après nos débuts, il a su être plus constant que moi, surtout à Roland Garros. Mais bien sûr, Nadal, Federer et Djokovic hors course, il y avait une opportunité, et c'est bien le meilleur qui a gagné à Flushing Meadows même s'il a mal commencé sa finale. Mais si les trois sont là à leur niveau c'est encore une autre histoire."
 

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